13/03/2018

L'art de la lecture : le quatrième mur


Ferenc Pintér - Ill. de couverture pour Cesare Pavese, Avant que le coq chante, Mondadori, 1970
Via Langhe




Stefano savait que ce pays n'avait rien d'étrange, et que les gens y vivaient au jour le jour, que la terre produisait, que la mer était la mer, comme partout ailleurs. Stefano trouvait sa joie dans la mer : en y allant, il l'imaginait comme un quatrième mur de sa prison, un vaste mur de couleurs et de fraîcheur, où il aurait pu entrer et oublier la cellule. Les premiers jours, il allait jusqu'à remplir son mouchoir de galets et de coquillages. Il avait trouvé le brigadier très humain, quand ce dernier, tout en regardant ses papiers, lui avait répondu : "Mais bien sûr. L'important, c'est que vous sachiez nager."
(les premières lignes de ) Cesare Pavese - La prison, in Avant que le coq chante, 1948
Trad. de Nino Franck et Mario Fusco, Gallimard éd. 1953, 2008.




Via Paolo Rinaldi





Comme c'est étrange, dit M. Chat. Ce sont ces îles qui servaient au Confino di polizia, l'exil en résidence surveillée du temps fasciste, l'exil que décrit Pavese dans La prison, ce sont ces même îles donc où l'on trie aujourd'hui les réfugiés pour les dubliner, comme ils disent. Etranges étrangers, et bizarres frontières. Quand j'étais petit la France, me disait-on, allait de Dunkerque à Tamanrasset. Puis j'ai grandi, un peu, et Tamanrasset a disparu. Aujourd'hui on me dit que les frontières de l'Europe vont de Ceuta (1) en pays Berbère à Utsjoki, où vivent les Samis, ou de Dunquin la gaélique à Constanța, cet exil pour poètes. Puis on m'annonce tout à coup que nos frontières se rapprochent, à Vintimille, à La Roya. Ou  encore à Calais, sur la route dangereuse d'un pays qui est peut-être en Europe, et peut-être pas, qui sait. Les frontières vont et viennent, vont et viennent gendarmes et carabiniers. Qui me dira un jour ce que signifient ces drapeaux qu'on me presse d'agiter, jusqu'où vont ces sillons qu'un sang impur abreuve ?


(1) Mais peut-être aussi des rives du Maroni, où vivent les Wayana, les Apalaï et les Teko. Mais aussi de Tahiti ou de Mayotte, tant il est vrai que sur l'Europe, le soleil ne se couche jamais.

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