10/06/2016

Une semaine Fénéon, et un huitième jour : pour une fois, quelqu'un


Lucie Cousturier - Autoportrait, 1905-10
Huile sur toile
Indianapolis Museum of Art
Source


"Lucie Cousturier, dont le dernier numéro du Bulletin enregistre hâtivement la mort, n'avait guère exposé au Salon des Indépendants : c'était – nus, paysages,  portraits, fleurs – des tableaux d'une saveur aigüe, ou jouaient les seules teintes du prisme dans un subtil lacis d'arabesques. C'était aussi d'élégantes, prestes et elliptiques aquarelles nées en Guinée et au Soudan et que Paris connaîtra l'hiver prochain à la faveur d'une exposition particulière.

Cette aptitude à exprimer le mouvement des êtres, la courbe des arbres et du sol, les variations de la lumière, on la retrouve dans ses livres, – mais refrénée au bénéfice de qualités spécifiquement littéraires. Depuis quelques années, écrire l'intéressait surtout. Des inconnus chez moi (1921), Mes inconnus chez eux (dont le premier volume, « Mon amie Fatou, citadine », vient de paraître chez Rieder, et dont l'autre, « Mon ami Soumaré, laptot », est sous presse) ont pour personnages les noirs d'Afrique. Par contraste aux vertus qu'elle voyait chez eux et au mordoré de leur peau, elle estimait les blancs grossiers d'esprit et fades d'aspect. Elle-même était de teint assez foncé, cheveux d'ébène un peu crépus, yeux de velours brun, bouche aux contours plein. L'orgueil qu'elle n'en tirait pas eût été légitime.

Personne moins qu'elle ne fut dupe des superstitions sociales. Peut-être était-elle allée en Afrique pour les fuir ; mais, sous d'autres formes, elle les avait non sans tristesse retrouvées dans les tribus. Sauf pendant cette période, c'est à Paris et à Fréjus qu'elle peignit ses toiles lumineuses et écrivit ses pages frémissantes de sensibilité et d'ironique révolte."
Bulletin de la vie artistique, notice non signée attribuée à Félix Fénéon, 1er juillet 1925




Lucie Cousturier née Lucie Brû, peintre pointilliste, fit la connaissance pendant la première guerre mondiale de tirailleurs sénégalais parqués, avant de monter au front, dans le campement de Fréjus (1) situé à côté de sa maison. Elle fit leur portrait dans Des inconnus chez moi, puis parcourut l'Afrique occidentale dite française en observatrice de la colonie dotée de l'oeil aiguisé du peintre; elle en ramena Mes inconnus chez eux, et écrivit dans Le Paria, journal lié au PCF du temps (avant 1936) où ce dernier était anticolonialiste.

A l'annonce de son décès, Fénéon vint pour une dernière visite et rencontra Léon Werth dans l'escalier - "pour une fois, lui dit-il, quelqu'un est mort".


(1) Que cite Prévert dans Etranges étrangers.

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