29/10/2015

Ciel... sans penser à la note d'hôtel laissée en ville


John Taylor Arms - Loop the Loop, 1920
Aquatinte
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"Car ils n’ont pas besoin d’argent; ce n’est pas après l’argent qu’ils courent, pas plus qu’après la gloire, parce que la gloire, ça ne peut durer que jusqu’à la course suivante, c’est-à-dire peut-être pas même jusqu’au lendemain. Et ils n’ont pas besoin d’argent sauf de temps en temps quand ils entrent en contact avec l’espèce humaine, comme dans un hôtel pour dormir ou manger de temps en temps ou encore pour acheter un pantalon ou une jupe afin de tenir la police à distance. Parce que l'argent, ce n'est pas ce qui est dur à gagner : ce n'est pas l'argent qui est là-haut à quatorze pieds et demi du sol dans un virage à la verticale autour d'un pilier d'acier à la vitesse de deux ou trois cents milles à l'heure dans un sacré moucheron d'une précision de montre suisse, dont la vitesse maxima n'est pas déterminée par un chiffre sur un petit cadran mais par le moment où vous grillez le moteur ou celui où le moteur se détache des ailes et du train d'atterrissage. Un virage autour du dernier pylône sur le bout de l'aile dont la toile tremble comme une jeune épousée, à bord d'une de ces cages à poules de quatre mille dollars bonne tout au plus pour cinquante heures de vol si l'une d'elles a jamais duré aussi longtemps, et cinq avions en course et le premier prix d'au moins deux cent-trente huit dollars et cinquante-deux cents, moins les pénalités, les droits d'engagement, les commissions et les pourboires. Et tous les autres, femmes, enfants, mécanos, planté sur l'aire à regarder, comme si on les avait dérobés à la vitrine d'un magasin est habillés de combinaisons kaki maculées de graisse, sans même penser à la note d'hôtel laissée en ville ni à l'endroit où on ira manger si on ne gagne pas ni comment on va aller au prochain meeting si le moteur fond et s'écoule par le tuyau d'échappement. Et Shumann n'est même pas propriétaire de son avion."
William Faulkner - Soirée dans New Valois, in Pylône, 1935
Traduction française de R.-N. Raimbault et G.L. Rousselet revue par François Pitavy.

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