28/07/2009

The cat's meow : Elizabeth Cotten



Elizabeth Cotten - Washington blues - I'm goin' away
Mis en ligne par humbatron




On appelle ça le Cotten picking : jouer en gaucher de la guitare pour droitier, en renversant l'instrument pour jouer les cordes aigües avec le pouce et les basses avec les autres doigts.

Elizabeth "Libba" Neville naît gauchère en 1892 (ou 1893, ou 1895 selon les sources) à Chapel Hill, Caroline du nord, cadette d'une famille de cinq enfants. A sept ans, elle se faufile dans la chambre de son frère en son absence et découvre son banjo. A onze ans elle quitte l'école et commence à travailler pour s'acheter une guitare, une Stella standard, pour droitier. Elle apprend, semble-t-il, toute seule et à douze ans elle compose Freight Train, son morceau le plus connu. A quinze, elle épouse Frank Cotten et ils ont une fille. Elle joue un peu pour son église locale - mais on lui dit que la guitare est l'instrument du diable. Et elle arrête la musique. Pour quelque quarante ans.

Elle travaille comme domestique, à Chapel Hill puis à New-York où la famille Cotten a déménagé, enfin à Washington, DC où elle s'installe avec sa fille après avoir divorcé. Vers la fin des années 40 elle est vendeuse au rayon des poupées chez Lansburgh. Un jour elle trouve une petite fille qui s'est perdue dans le magasin, et elle la ramène à sa mère.

La mère s'appelle Ruth Crawford Seeger, compositrice et musicologue, disciple indirecte de Scriabine par le biais de sa professeur au conservatoire de Chicago, Djane Lavoie Herz, et première femme à recevoir une bourse Guggenheim. Ce qui lui a permis de se rendre au début des années 30 à Berlin, où elle a été influencée par les conceptions de Berg et Schönberg. A Chicago, elle rencontre Carl Sandburg, qui lui fait découvrir le monde du folksong. Un peu plus tard à l'IMA de New-York, la future Juilliard School, elle étudie auprès de Charles Seeger qu'elle épouse peu après. Seeger est l'inventeur du Melograph, le théoricien du contrepoint dissonant et par ailleurs le père de Pete Seeger de par son précédent mariage. A ce moment, le couple Seeger est partie prenante du courant ultramoderniste de la musique américaine - Edgar Varèse, Charles Ives, Henry Cowell - radicalement opposé à Stravinsky et au néo-classicisme.



En même temps les deux époux font partie de ces exceptions - de purs musiciens classiques, mais passionnés par la musique folk et pris dans le grand mouvement populiste des années 30 et 40 aux USA. L'oeuvre de Ruth Seeger se partage entre la musique atonale et les arrangement de folksongs dont elle a publié plusieurs recueils. Charles Seeger, qui a été proche des IWW à Berkeley au début du siècle, travaillera pour la FSA et pour le Federal Music Project de la WPA. Et ce sont les Seeger, ensemble avec John Lomax et son fils Alan, qui vont constituer le Folk Song Archive de la Librairie du Congrès. Suivant l'exemple de leur demi-frère, deux de leurs enfants deviendront folksingers. Mike Seeger, un des héros de Bob Dylan, que vous pouvez écouter ici-même dans Strike avec Ry Cooder, et Peggy Seeger - qui chantera plus tard en Angleterre avec son compagnon, Ewan Mc Coll.

Au rayon des poupées de Lansburgh les deux femmes sympathisent, et Elizabeth Cotten vient faire des ménages chez les Seeger. Elle remarque un guitare qui traîne et, diable ou pas, elle fait comme d'habitude avec les guitares qui traînent - elle se met à en jouer. Peggy Seeger, qui apprend l'instrument, l'entend et alerte sa mère : leur femme de ménage est "un rêve de folkloriste : une véritable, authentique musicienne" (1).

La famille Seeger se met à enregistrer Cotten, et produit son premier album en 1957.




En 1960, elle donne ses premiers concerts, à 68 ans. En 1964 elle est sur la scène à Newport, et les albums se succèdent. Elle récupère une part du copyright de Freight Train, que s'étaient attribué deux anglais indélicats qui avaient enregistré Peggy Seeger. Elle donne son dernier concert le 22 février 1987, et meurt le 29 juin suivant.

Contrairement à ces bluesmen qui, lors du folk revival,
se sont contentés de remiser leur guitare électrique, Elizabeth Cotten n'a pas eu à changer de style. Elle est comme ces poissons qu'on pensait fossiles, et qu'un filet remonte un jour des profondeurs. Elle se remet à jouer en 1957 quelque chose qu'on n'a pas entendu depuis 1907, quelque chose qui se jouait alors sous les porches, dans les granges et les cours poussiéreuses de Caroline du nord, et dans les églises qui le voulaient bien. Quelque chose qui n'avait pas encore de nom, ni country, ni folk, ni même blues, qui ne se rapproche que de ce que nous avons baptisé ragtime guitar et qu'on devait appeler tout simplement music. Quelque chose qu'il faut écouter en pensant à toutes les femmes de ménage musiciennes qui n'ont pas rencontré de Ruth Seeger sur leur chemin.

(1) Selon les mots de Dana Klipp, guitariste qui accompagna Cotten dans les années 80, quand ses mains commencèrent à s'affaiblir.

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