14/05/2009

Jim O'Rourke/Koji Wakamatsu : United Red Army



Mis en ligne par dissidenztv


Rien que pour la musique de Jim O'Rourke (ex-Sonic Youth) il faudrait voir le film de Koji Wakamatsu, United Red Army.

Le film
(coming soon to a theater near you : 4 salles en France...) décrit la dérive militariste de deux fractions du Bund Zengakuren - l'organisation militante des étudiants japonais dans les années soixante. Les deux groupes fusionnent en 1972 pour former l'Armée Rouge Unie et passent à la lutte armée - tentative manquée de séquestration du premier ministre Sato, détournement du vol 351 de la Japan Air Lines vers la Corée du nord. Traqués par la police, ils se regroupent dans une base d'entraînement à la guérilla établie dans les montagnes de la préfecture de Gunma. Isolés dans la neige, ils se mettent à débusquer leurs propres déviations pour "renforcer la cohésion du groupe" : autocritiques forcées, tabassages, et pour finir exécution de plusieurs des membres par leurs propres camarades. Les survivants partent dans la montagne et finissent par se retrancher dans un gîte touristique, le châlet d'Asama, prenant l'hôtelière en otage et soutenant un siège policier de dix jours, au bout desquels ils finissent par être capturés.

Wakamatsu divise son film en trois parties. D'abord une présentation historique de la Zengakuren et de son éclatement en factions, qui risque de dérouter ceux qui n'ont pas déjà quelques références (1) sur le sujet. Puis les séances d'épuration dans la montagne (ici, âmes sensibles s'abstenir, même si le réalisateur ne sombre pas dans le gore comme d'autres productions japonaises s'inspirant des mêmes événements). Enfin l'incident d'Asama-Sansô, traité un peu à la manière de Carpenter dans
Assault on Precinct 13 - tout se passe à l'intérieur du refuge, on ne voit jamais les policiers sauf lors de l'assaut final. Cette dernière partie est une prouesse cinématographique. Wakamatsu a, paraît-il, détruit sa résidence secondaire pour y tourner ces séquences.

Son film est cent coudées au-dessus de celui d'Uli Edel sur le pendant allemand de cette aventure (
der Baader-Meinhof komplex). Evitant le spectaculaire il a le mérite, comme Nuit et brouillard au Japon d'Oshima, de montrer d'abord l'activité quantitativement principale de ces groupes : non pas l'action violente, mais la discussion (tout aussi violente). S'agissant précisément de la violence, Wakamatsu s'épargne la sympathie trouble tout autant que le commentaire moralisant - aidé en cela par son histoire personnelle - yakuza jusqu'en 56, puis très proche des groupes d'extrême-gauche qu'il décrit, il connaît la question. Pas de posture critique en surplomb, mais une dissection des rapports interpersonnels indiscernables de l'idéologie - cette impossibilité de discerner est d'ailleurs le sujet même du film puisque la violence est interne au groupe, chaque militant pouvant devenir à son tour bourreau puis victime. Les leaders, Tsuneo Mori et Hiroko Nagata (superbe prestation de l'actrice Akie Namiki)...




Mis en ligne par dissidenztv


...sont présentés, probablement à raison, comme les coryphées-marionnettes d'une folie collective. Analyse distanciée des ressorts de l'affaire - délire idéologique de militants perdus dans le brouillard, terreur mimétique, et ce trait culturel si profondément japonais, l'impossibilité de se dissocier du groupe.

Les marches dans la neige, l'air raréfié des montagnes de Kantô, tout cela symbolise l'isolement de cette génération militante fracassée à répétition contre le mur de béton du Japon de la guerre froide. La pression sociale, comme la police, est omniprésente mais constamment hors-champ - en cela le film rappelle
Ice, le chef-d'oeuvre depuis longtemps invisible de Robert Kramer.


Robert Kramer - Ice, 16mm. n&b, 1969


Je me souviens des années 69-70 à Paris - dans l'extrême-gauche un peu paramilitaire le Zengakuren Bund était un mythe - les militants se racontaient les combats du 19 janvier 1969 dans la "forteresse Yasuda", la tour de l'Université Todaï que la police anti-émeute avait dû reprendre au corps à corps étage par étage, jusqu'au toit.



Les combats de Yasuda
Mis en ligne par rosamour

Symétriquement, les Japonais devaient fantasmer sur la France et sur Mai 68 - les scènes de bar, les plus émouvantes du film de Wakamatsu, se jouent sur fond de Temps des cerises.

Erri de Luca, qui était à l'époque responsable du Service d'ordre de Lotta Continua, explique quelque part qu'en ce temps-là la Terre était plate, avec deux faces : Est et Ouest. On était tous plus ou moins des combattants de la guerre froide - certains plus que d'autres, et plus longtemps que d'autres.

Tsuneo Mori, arrêté en 72, s'est suicidé dans sa cellule un an plus tard; capturée en même temps que lui, Hiroko Nagata a été condamnée à la peine capitale en 1972 - elle est depuis trente-sept ans dans le couloir de la mort. La dernière dirigeante de l'Armée Rouge Japonaise, Fusako Shigenobu, a été arrêtée le 8 Novembre 2000 à Osaka après trente ans de clandestinité. Lors de son procès en 2001 elle a annoncé la dissolution officielle de son armée - elle devrait sortir de prison dans une quinzaine d'années. Le livre qu'elle a publié en 2001 porte un titre qui est une adresse à sa fille : "j'ai décidé de te donner la vie sous un pommier".






Jim O'Rourke - Viva Forever
Mis en ligne par dadoubaiu



(1) On peut en trouver (en anglais) dans cette interview de Patricia Steinhoff (5 parties à la suite)

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